Transat Café L’Or : J11 - Apprivoiser l’extrême

Crédit photo : Qaptur

Le « deuxième Pot-au-Noir » devait être une formalité. Il a grincé plus que prévu : réactivation pile au moment où Actual Ultim 4 passait. Comme s’il avait attendu son heure. Pas le scénario rêvé. Mais il n’y a pas eu de temps donné à la plainte. Anthony Marchand et Julien Villion ont pris, encaissé, relancé. Et cette nuit, la bascule a été nette : la vitesse est revenue, solide, tenace.

1 000 milles restants à parcourir

Ce mercredi matin, ils viennent de passer sous la barre symbolique des 1 000 milles restants à parcourir avant l’arrivée. Et le rythme est celui qu’ils attendaient depuis des jours : un grand portant sous régime d’alizé, tout schuss ou presque, la Martinique dans l’axe de l’étrave, et plus de 30 nœuds de moyenne affichés comme une évidence. Ils sont redevenus ce qu’ils sont : deux marins de haut niveau en mode attaque. Et le plus intéressant, c’est que cette vitesse-là finit par devenir… une norme. Vu de terre, 35 nœuds est un chiffre qui déforme l’imagination. Sur un Ultim, ça devient une zone de confort. « Les deux premiers jours de la course, ton cerveau n’arrive pas bien à intégrer ça », raconte Anthony. Le corps sort d’un village de départ, de deux semaines de calme, et plonge dans une vie faite de chocs et de vibrations. Au début, c’est violent. Puis l’organisme apprend. Julien sourit : « Il y a ce moment où tu te surprends à penser : on est en train de voler sur l’Atlantique à 40 nœuds… et ça te semble “normal”. » Cette acclimatation n’est pas une perte de vigilance. C’est l’inverse. « Si tu laisses la vitesse t’envahir, tu perds ta lucidité », ajoute Anthony.

Le marin doit intégrer l’extrême, pour continuer à penser clair

Le plus fou, c’est la bascule des repères. « À force, le fait d’avancer à 25 nœuds finit par sembler… presque lent. » Cette phrase est la signature de ces bateaux. La vitesse cesse d’être un sommet, elle devient un cadre. L’autre grande adaptation est sonore. Le silence n’existe pas ici. « Il y a le souffle du vent apparent, les craquements du carbone, les coups de boutoir dans les vagues… et rien ne s’arrête jamais », dit Anthony. Le bruit peut rendre fou. Mais il devient surtout une information. Julien le formule autrement : « Le bateau parle. » Un changement de vibration, un grincement un peu différent, et l’œil file au cockpit, au gréement, aux écrans de contrôle. Le marin trie. Il relègue les nuisances en bruit blanc. Il amplifie mentalement les signaux utiles. Et peut-être que la phrase la plus typique du large est celle-ci : « C’est le silence qui fait peur. » Parce que le calme est presque toujours anormal.  La dernière grande séquence de la Transat Café L’Or est entamée. Les milles tombent vite. Les deux hommes sont « dedans ». Et dans cette vitesse où tout pourrait devenir flou, ils prouvent une chose : l’extrême n’est pas une anomalie, c’est un état qu’on apprend à habiter.»

Crédit photo : Qaptur

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