Transat Café L’Or : J12 - Entre deux mondes

Crédit photo : Qaptur

Actual Ultim 4 file vers la Martinique. Ce jeudi matin, Anthony Marchand et Julien Villion sont à moins de 300 milles de Fort-de-France. Quelques heures encore, et ils auront bouclé leur Transat Café L’Or. Heure d’arrivée estimée : entre 20h et 22h (heure de Paris). Sportivement, sauf avarie, la troisième place est désormais actée. Et pour cause, le vainqueur a coupé la ligne très tôt ce matin, le deuxième suit, mais hors de portée, et derrière, l’écart est suffisant pour qu’ils ne soient pas réellement sous pression. Et pourtant, ces ultimes milles ne sont pas une simple descente en roue libre. Ce sont les derniers instants de mer. Et il y a dans cette phase-là quelque chose de très singulier : une part de hâte… et une part de retenue. Il y a le désir d’arriver après onze jours de tension, mais aussi l’envie de rester encore un peu à l’intérieur de cet état suspendu. On avance vers l’arc antillais avec impatience, tout en sachant qu’on avance aussi vers la fin de quelque chose. Et ce mélange-là - l’excitation, la nostalgie qui affleure déjà - est peut-être le sentiment le plus troublant de tous.

Profiter encore, tout en restant précis

Cette nuit, les deux co-skippers d’Actual Ultim 4 ont traversé une de ces séquences que tous les marins cherchent, très peu vivent, et encore moins racontent : mer plate, 30 nœuds « sans effort », lune pleine qui transformait l’Atlantique en un plateau blanc. « C’étaient les conditions parfaites », a glissé Julien. Trop évidemment parfaites pour ne pas les goûter pleinement. La pression sportive étant, à ce stade de la course, retombée, ils peuvent se concentrer sur une autre forme de rigueur : mener le bateau proprement, éviter la faute bête, optimiser les petites rotations de vent. Et se permettre de sentir l’instant. Ils ont même pris une douche hier. Un luxe dérisoire : quinze minutes plus tard, sous les tropiques, la chaleur a repris ses droits, poisseuse, totale, en quelques minutes. Mais ce court répit physique a figé quelque chose : cette sensation de décompression, quand le corps cherche déjà à s’alléger, mais que l’esprit, lui, ne veut pas encore rendre les clefs du large.

Déjà la tête entre mer et terre

Le plus fou, c’est la bascule des repères. « À force, le fait d’avancer à 25 nœuds finit par sembler… presque lent. » Cette phrase est la signature de ces bateaux. La vitesse cesse d’être un sommet, elle devient un cadre. L’autre grande adaptation est sonore. Le silence n’existe pas ici. « Il y a le souffle du vent apparent, les craquements du carbone, les coups de boutoir dans les vagues… et rien ne s’arrête jamais », dit Anthony. Le bruit peut rendre fou. Mais il devient surtout une information. Julien le formule autrement : « Le bateau parle. » Un changement de vibration, un grincement un peu différent, et l’œil file au cockpit, au gréement, aux écrans de contrôle. Le marin trie. Il relègue les nuisances en bruit blanc. Il amplifie mentalement les signaux utiles. Et peut-être que la phrase la plus typique du large est celle-ci : « C’est le silence qui fait peur. » Parce que le calme est presque toujours anormal.  La dernière grande séquence de la Transat Café L’Or est entamée. Les milles tombent vite. Les deux hommes sont « dedans ». Et dans cette vitesse où tout pourrait devenir flou, ils prouvent une chose : l’extrême n’est pas une anomalie, c’est un état qu’on apprend à habiter.»

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Transat Café L’Or : J11 - Apprivoiser l’extrême