Transat Café L’Or : J7 - Quand la course déforme la perception du temps
Hier, les options étaient multiples pour aborder le Cap-Vert, archipel puzzle composé de dix îles principales et d’une constellation d’îlots. Et les stratégies se sont éparpillées en conséquence : SVR-Lazartigue a tenté la voie large par l’ouest, Sodebo Ultim 3 est passé très à l’est… tandis qu’Actual Ultim 4 a assumé une trajectoire plein cœur, au milieu du chapelet. Résultat : un pari assumé et plutôt bien négocié.
“On peut passer de 32 nœuds sous grain à 3 nœuds de vent en quarante secondes”
Entre São Nicolau et Sal d’abord, puis entre Santiago et Fogo ensuite, Anthony Marchand et Julien Villion ont bénéficié des zones d’accélération entre les reliefs — un véritable effet Venturi naturel — qui leur a permis de réduire de moitié leur écart sur Thomas Coville et Benjamin Schwartz. Ce samedi, c’est une autre équation de taille qui se présente : la zone de convergence intertropicale, le fameux Pot-au-Noir. Et ils vont y faire leur entrée dans les heures qui viennent. Chacun, dans la flotte, a affiné au plus juste son point d’attaque pour essayer de ressortir de ce piège le plus vite possible… et idéalement avant les autres. Et c’est précisément là que se révèle un phénomène fascinant du large : le rapport au temps. Car dans le Pot-au-Noir plus qu’ailleurs, on peut passer de 32 nœuds sous grain à 3 nœuds de vent en quarante secondes. Un nuage, une risée, un grain… et la perception bascule avec. Mais ce « temps élastique » n’est pas propre au Pot.
Il gouverne toute la transat. À bord, tout est calé en heure TU (Temps Universel) - manière de rester sur une même référence, même quand le bateau avale les fuseaux en glissant vers l’ouest. « Tu as l’impression de vivre des mois entiers en dix jours », résume Julien. La nuit et le jour ne jouent plus leur partition terrestre. Les quarts, les changements de voile, les grains, recomposent un tempo qui n’appartient qu’au bateau. « Parfois quatre jours s’enchaînent sans que tu t’en rendes compte. Et parfois une seule journée semble interminable, parce que tout est compliqué », raconte Anthony. Les micro-siestes accentuent encore cette perte de repères. « Tu n’es jamais vraiment calé », dit Julien, qui se force à garder trois repas par jour, « même symboliques », pour conserver un semblant d’ancrage. Son binôme, lui, décrit une ivresse douce : « Tu es vaseux, mais agréablement. Tu perds la notion du temps, mais tu sais que ça s’arrêtera à l’arrivée. » Au fond, c’est aussi ça, la course au large : entrer dans une bulle où le monde extérieur s’efface, suspendu entre deux continents, avec pour seule horloge le tempo du vent.