Transat Café L’Or : J8 - Dans la matrice équatoriale, tout se recompacte
Depuis hier matin, Anthony Marchand et Julien Villion traversent un Pot-au-Noir particulièrement actif. Ce dimanche, ils sont toujours empêtrés au cœur de cette mécanique saturée de grains, d’éclairs et de variations brutales de force comme de direction du vent. Mais ils entrevoient enfin la sortie, espérée en milieu de journée. Malgré la volatilité extrême de cette zone de convergence intertropicale, le duo d’Actual Ultim 4 a parfaitement négocié le piège jusqu’ici : précaution, anticipation, lecture fine du ciel et des images satellites. Résultat tangible : il est revenu à moins de dix milles de Sodebo Ultim 3 et à moins de quatre-vingts milles du leader, SVR-Lazartigue. De quoi relancer totalement le match avant la prochaine marque de parcours, les rochers São Pedro e São Paulo — désormais le seul point de passage obligatoire après la suppression du waypoint d’Ascension par la direction de course — visée demain soir ou dans la nuit de lundi à mardi, et avant d’ouvrir un long bord rapide vers l’Ouest, synonyme de vitesse pure… et de quelques heures de respiration bienvenue.
Au milieu des lignes de force invisibles.
Il y a, ce matin, une lumière presque clinique dans les mots d’Anthony. Le Pot-au-Noir ne se résume jamais à “des grains” et “du vent qui tombe” : c’est un système instable, une fabrique de micro-convections où les masses d’air chaud et les descentes d’air froid s’entrechoquent sans logique apparente. Les vitesses y deviennent absurdement erratiques, comme tirées par une main invisible. « Ce sont de petits grains, mais tactiquement c’est très difficile. Une minute les gars de Sodebo filent à 25 nœuds pendant que nous sommes plantés, la suivante c’est nous qui repartons et eux qui butent. » Ici, la performance ne se joue pas à vitesse constante : il faut absorber les pics, amortir les trous d’air, presque seconde par seconde. Dans cette région où le ciel est une matrice mouvante, chaque nuage est une hypothèse. « On essaie d’anticiper au mieux et on navigue de manière plutôt conservatrice : on reste très toilé, mais en surveillant en permanence. » Ici, l’audace se joue au millimètre : ils ont choisi de rester précis et disciplinés, plutôt que de forcer un coup au hasard. Car, dans ce laboratoire tropical, la différence se fait moins sur un geste flamboyant que sur la qualité du tri, du calage, du dosage.
Retour au contact : le duel se resserre
Le fruit de cette maîtrise, c’est la feuille de classement : Actual Ultim 4 est revenu au contact des deux premiers. « Le match est relancé. » Et l’on entend, chez lui, l’humilité de marins lucides qui savent qu’ils ont simplement recollé — pas gagné. L’objectif immédiat est limpide : rester en prise jusqu’à l’atterrissage sur les petites îles rocheuses de São Pedro e São Paulo. « Il faudra encore composer avec une certaine instabilité, mais déjà moins marquée que ces dernières heures. Ensuite, nous devrions retrouver un flux régulier et filer tout droit. Ensuite, s’ouvrira une nouvelle bataille, au portant, jusqu’en Martinique. Il y aura même un deuxième Pot-au-Noir. Les écarts sont faibles et la route encore très longue. » Cette lucidité-là est précieuse : elle empêche l’ivresse. Ici, rien ne se joue d’un coup. Ce n’est qu’une séquence parmi d’autres, sur un parcours encore immense.
Vers l’ouest : vitesse, précision… et (enfin) un peu de souffle
Au sud de cette zone chaotique, un autre mode de course s’annonce. « La difficulté ce sera alors moins la météo que le réglage. Ce sera un grand bord. Il faudra avant tout faire les bons choix de voiles. Ce sera une affaire de vitesse. » Une vitesse pure, déliée, presque athlétique. Et dans cette bascule ressurgit un mot qu’on n’entendait plus depuis plusieurs jours : repos. « Nous n’avons pas arrêté. Même quand l’un est censé dormir, il reste en veille, prêt à bondir dans le cockpit à la moindre alerte. » Cet aveu, sans plainte, dit bien ce qu’est l’énergie dépensée depuis une semaine. Dans les heures qui viennent - si le ciel se stabilise - ils pourront souffler. Pas longtemps. Pas complètement. Mais suffisamment pour redonner du mordant à l’esprit. Anthony conclut avec un sourire que l’on devine franc, sur une phrase qui résume parfaitement l’instant, entre tension maîtrisée, impatience et excitation pure : « On a hâte ! »