Transat Café L’Or : J9 - Rester humain au milieu de l’intraitable
Crédit photo : Anne Beaugé
On croyait Actual Ultim 4 tiré d’affaire hier après-midi, presque glissé hors des griffes du Pot-au-Noir. Les vitesses remontaient, Sodebo Ultim 3 était revenu à portée de fusil, la lumière semblait s’ouvrir devant l’étrave. Et puis non : un dernier noyau convectif, une masse compacte comme un rideau de fer, a avalé le bateau et coupé l’élan.
Rien qui n’entame la détermination des deux marins
En quelques dizaines de secondes, les nœuds se sont évaporés et la paire Coville - Schwartz s’est rééchappée. Frustration, oui. Déception, aussi. Mais rien qui n’entame la détermination des deux marins. Leur force, c’est cette capacité à ne pas ruminer : diagnostiquer vite, accepter vite, se réengager. Ce lundi matin, ils vont passer São Pedro e São Paulo, ces quelques rochers perdus au milieu de l’Atlantique, point de passage obligatoire de la course. Puis ils ouvriront la route vers l’Ouest. Et à l’échelle d’un Ultim, avec encore un second Pot-au-Noir à négocier plus loin, cette Transat Café L’Or peut encore basculer plusieurs fois avant la Martinique. Et c’est précisément là que leur binôme fait la différence : Anthony garde la vision d’ensemble, Julien remet de l’intensité dans l’instant. Deux manières d’affronter l’incertitude, mais un même socle : il y aura des opportunités de revenir.
Ménager l’humain pour rester dans le match
Au milieu de cette pression continue, il faut aussi ménager l’humain. Hier, c’était une petite boîte de foie de morue fumé et des petites pains grillés suédois : trente secondes de normalité, et le cerveau se remet en place. Ce sont ces mini-pivots, invisibles, qui rechargent. Anthony, lui, se raccroche parfois à une chose très simple : une boisson chaude avalée en deux gorgées entre deux manœuvres. C’est son micro-ancrage. Julien a ses repères à lui : une blague de quart, un carré de chocolat noir « customisé ». « À 3 heures du matin, ça change tout », sourit-il. On pourrait croire à des détails. Ce sont des leviers. Ces gestes réinscrivent la part sensible dans une machine extrême, redonnent un centre de gravité, permettent de durer dans l’effort. « C’est ça qui nous aide à tenir quand c’est dur », résume Julien. Et peut-être que toute la vérité du large est là : dans cette intelligence invisible, celle qui sait fabriquer, au cœur de la vitesse et de la contrainte, les micro-équilibres qui permettent de rester lucide… et de rester dans le match.